
Éminences,
Excellences,
Bien chers Pères,
Enfants bien-aimés dans le Seigneur,
C’est avec un honneur, mais aussi un sentiment profond de responsabilité, que nous nous retrouvons ici, en ce début d’année qui se présente à la fois comme un témoignage et un défi pour nos Églises. Ce moment, suspendu entre héritage et avenir, revêt une importance capitale, car la providence divine a fait se croiser deux événements d’une portée historique inouïe : le 1700e anniversaire du premier Concile œcuménique de Nicée et la célébration commune de Pâques par l’ensemble du monde chrétien. C’est là, dans ce kairos œcuménique, que nous sommes invités à repenser notre foi et notre unité.
Cette année jubilaire et conciliaire interroge, par son essence même, la notion de synodalité, concept qui, pour l’orthodoxie, n’est pas seulement une organisation humaine, mais une expression du mystère de la communion trinitaire. C’est une forme vivante, une force qui structure et anime la vie de l’Église. À l’heure où l’Église catholique romaine achève une réflexion conciliaire sur cette question, il nous semble indispensable de comprendre et de saisir les ramifications de cette synodalité pour le mouvement œcuménique d’aujourd’hui.
Mais débutons par un regard introspectif. La synodalité, pour l’Église orthodoxe, n’est pas une simple structure administrative. Elle est la manifestation visible d’un mystère, celui de la Trinité, inscrit dans chaque geste, chaque parole, chaque décision collective qui structure l’Église. Les conciles œcuméniques, et plus particulièrement celui de Nicée en 325, en sont le modèle vivant : ils ont su unifier l’Église naissante sous l’Empire romain, et, plus encore, ils ont posé les bases d’un dialogue entre les Églises locales. Ce dialogue, loin d’être achevé, continue à nourrir et à inspirer nos réflexions, comme nous l’avons vu lors du Saint et Grand Concile de l’Église orthodoxe en Crète en 2016.
Le Concile de Nicée, avec ses 318 évêques réunis dans un même élan, ne cherchait pas à imposer une vérité pétrifiée, mais à tracer le chemin vers une unité vivante, dynamique, toujours en devenir. Le dogme de Nicée, exprimé par son Credo, symbolise cette quête incessante : unité dans la diversité, avec le Christ comme principe de réconciliation. C’est ce Credo, affirmant la consubstantialité du Fils avec le Père, qui nous ouvre à une compréhension plus profonde du mystère trinitaire. Mais ce Credo, comme la foi elle-même, ne vit que dans le contexte eucharistique de l’Église. Il est prière autant qu’affirmation théologique.
Pour nous, la foi de Nicée n’est pas un dogme figé dans le temps, elle est vivante, elle éclaire notre route, elle appelle. Comme un foyer qui diffuse lumière et chaleur, ce Jubilé nous invite à revenir à cette source originelle, à cette expression vivante et vivifiante de la foi. Il nous pousse à réexaminer les bases de notre communion et à réactualiser la synodalité comme un principe de renouvellement et de réconciliation. En cela, l’héritage de Nicée est plus qu’un simple témoignage historique : c’est une invitation à incarner cette unité, à la traduire dans notre monde fragmenté.
Mais Nicée, c’est aussi une question de pratiques concrètes. L’unité des chrétiens passe par des gestes simples, des décisions pratiques : la date de Pâques, par exemple, demeure un enjeu crucial pour l’unité visible des chrétiens. Cette question qui perdure depuis des siècles est bien plus qu’un simple détail liturgique : elle est le reflet des fractures profondes qui traversent encore l’Église. Elle est un cri silencieux, un rappel amer de la division qui sépare les chrétiens.
Ainsi, le Patriarcat œcuménique, en dialogue avec l’Église Sœur de Rome, cherche les conditions nécessaires à un accord sur la formulation d’une date commune pour la célébration de la Résurrection du Christ. Cette démarche, soutenue par Sa Sainteté le Pape François, s’inscrit dans la continuité de l’esprit de Nicée. Elle est une volonté de dépasser nos divisions, d’accomplir, enfin, l’appel du Christ à l’unité : « afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient un en nous, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jn 17, 21)
La fixation d’une date commune ne serait pas simplement un acte pratique, mais un acte symbolique de réconciliation, une prophétie vivante. Elle nous rappellerait que, malgré nos divergences, nous pouvons, par la grâce de Dieu, surmonter nos divisions et proclamer ensemble la victoire du Christ, vainqueur de la mort. Dans un monde fracturé, ce geste serait un signe de l’espérance chrétienne : l’unité est possible, parce qu’elle est fondée sur la vérité du Christ.
Mesdames et Messieurs, chers amis,
C’est avec un profond respect que nous nous souvenons de Nicée, non seulement comme un Concile historique, mais aussi comme un modèle de synodalité qui continue à nourrir l’Église aujourd’hui. C’est dans cet esprit que nous célébrons ce Jubilé, non comme un simple hommage au passé, mais comme une invitation à l’action. L’œcuménisme n’est pas un rêve lointain : il est une tâche urgente et nécessaire, un appel à incarner la vision d’unité et de synodalité du Concile, à la mettre en œuvre dans nos vies.
Nous avons, dans ce Jubilé, l’opportunité unique d’aller au-delà de la simple commémoration : nous sommes invités à revivre, à réactualiser, à incarner l’héritage de Nicée. En travaillant ensemble, en surmontant nos divergences, nous pouvons œuvrer en faveur de l’unité du Corps du Christ, faire naître un monde nouveau où la foi chrétienne rayonnera dans sa pleine force.
Que ce Jubilé soit, pour chacun de nous, à la fois une réflexion sur notre héritage, mais aussi un acte de foi, un geste réconciliateur, une marche commune vers l’unité en Christ. Que l’Esprit Saint guide ce chemin, pour que l’Église continue à être le témoin du Christ ressuscité dans le monde.
Merci de votre attention.